Faut-il condamner la Cour d’assises ?

Faut-il condamner la Cour d’assises ?

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Depuis la révolution française, la Justice est rendue « Au nom du peuple français ». Cette formule, loin d’être uniquement une figure de style, a trouvé son expression ultime dans l’intervention d’un jury populaire pour le jugement des infractions les plus graves : les crimes.


Avec la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui a lancé pour une durée de 3 ans l’expérimentation de la Cour Criminelle, composée exclusivement de magistrats professionnels, la survie de la Cour d’assises et du jury populaire est menacée.


Les objectifs qui ont présidé à cette innovation, et aux dernières réformes en matière de Justice, se nomment rationalisation, économie de moyens et gestion de flux. Il est ainsi espéré de cette Cour qu’elle participe à désengorger les juridictions criminelles.

Doit-on craindre que cette nouvelle économie soit
réalisée au détriment d’une justice qualitative ?
Nombreux sont les acteurs du monde judiciaires qui se sont émus du risque de disparition du jury populaire qui constitue un symbole phare de notre Justice, et plus que cela, est avec le référendum l’une
des seules mesures relevant de la démocratie directe.

Le justiciable quant à lui doit-il se réjouir ou s’inquiéter du risque de disparition du jury populaire ? Si
l’expérience pour un citoyen d’être juré d’assises nous semble éminemment enrichissante en va-t-il de
même pour le justiciable ?


L’enjeu pour les justiciables confrontés à la Cour d’assises, qu’il soit accusé ou partie civile, est souvent celui d’une vie. Si la peine de mort n’est plus d’actualité, la décision d’une Cour d’assises peut conduire à la reconnaissance de la culpabilité ou à celle de l’innocence, à réclusion à la perpétuité ou à l’acquittement. Si elle ne peut nécessairement réparer (si ce n’est par équivalent), elle peut à tout le moins faire reconnaitre un statut de victime.


Les enjeux sont tels pour les justiciables qu’ils méritent que l’on s’interroge sur l’efficience de la Cour d’assises telle que nous la connaissons aujourd’hui
1.

Est-il acceptable pour un justiciable de s’en remettre au sort (du tirage des jurés sur les listes électorales)
pour désigner ceux qui auront à juger ce qu’il a de plus précieux (sa liberté, son honneur) ?
N’est-il pas légitime à s’inquiéter d’être jugé par des jurés qui n’avait jusqu’à la veille, pour la plupart,
aucune expérience pour rendre la Justice, et pour certains aucune envie de la rendre ?
Pour prévenir ce risque, le législateur a prévu d’adjoindre aux jurés 3 magistrats professionnels (un Président et deux assesseurs).

Cette adjonction est si efficace, qu’en réalité, bien qu’il soit majoritaire, ce ne sont pas les jurés qui décident mais bien les magistrats professionnels et notamment le Président.
En effet, les jurés, outre du fait qu’il ne dispose d’aucune expérience, n’ont pas accès à la copie du dossier. Dans ces conditions, ils n’ont ni l’autorité, ni surtout les moyens nécessaires pour s’opposer à l’opinion du Président.

Plus encore, jusqu’à la loi du 23 mars 2019, les assesseurs eux-mêmes n’avait pas accès au dossier d’instruction. Ainsi, la Cour d’assises telle que se pratiquait jusqu’alors n’avait de collégiale que

l’apparence. En réalité, il s’agissait davantage d’une juridiction à juge unique avec un Président quasi omnipotent.


Il n’est pas plus rassurant d’être jugé par plusieurs citoyens sans expérience que par un seul homme ou femme, aussi compétente soit-il (elle). Ainsi, la figure toute puissante du Président de Cour d’assises a fait l’objet de nombreuses critiques. Elle participe sans doute à une défense de plus en plus agressive, donc à une Justice moins sereine, où l’adversaire risque de n’être pas tant pas le ministère public que le Président lui-même, du fait de son rôle prépondérant.


La disposition de la loi du 23 mars 2019, entrée en vigueur le 1
er juin 2019, qui donne accès aux assesseurs au dossier, permet désormais d’envisager une collégialité plus réelle, sous réserve que ces derniers disposent du temps nécessaire à l’étude de l’entier dossier.

Allant plus loin, la loi du 23 mars 2019 touche au symbole en écartant les jurés d’assises. Cette évolution n’est-elle pas justifiée si le symbole n’a plus ni utilité ni valeur ajoutée pour le justiciable ?
Car depuis la réforme opérée sous le régime de Vichy, par loi du 25 novembre 1941, jamais depuis remis en cause, le jury populaire n’est plus qu’un symbole.

Avant 1941, la culpabilité était décidée par les seuls jurés et la peine par les jurés et les magistrats professionnels. Depuis 1941, une seule décision est rendue concernant la culpabilité et la peine guidée, voire décidée, par les juges professionnels. Depuis lors, les jurés ne sont plus, dans la grande majorité des cas, que figuratifs.

Plus qu’un symbole, une « hypocrisie » pour reprendre les termes de Maurice Garçon, pourquoi conserver une Cour d’assises dont l’essence populaire n’est désormais plus qu’une illusion au demeurant couteuse.

Une Cour criminelle composée exclusivement de magistrats professionnels nous semble mieux à même pour garantir une collégialité et une expérience effective auxquelles peuvent prétendre les justiciables.

Si l’expérimentation de la Cour criminelle est un succès, rien d’interdit d’espérer de la voir remplacer la Cour d’assises, et de tendre ainsi davantage en matière criminelle aux exigences du procès équitable

François des MINIERES
Avocat à la Cour

1 Au nom du peuple français, Jury populaire ou juges professionnels ? , par François SAINT-PIERRE, publié chez Odile Jacob.